Rubrique historique gazette n91
« Sambre et Meuse »
C’est un petit article qui me tient à cœur depuis de longs mois cette fois. Il y a fort longtemps que j’avais envie de faire un topo sur le « Sambre-et-Meuse ».
«L’armée de Sambre-et-Meuse » d’abord voulu par Carnot puis « le régiment » de Cezano chanté à la fin du siècle pour devenir une des pièces principales de notre répertoire patriotique.
Tout petit, j’étais déjà fasciné par « Sambre-et-Meuse » et à l’âge où mes copains collectionnaient les images, j’écoutais sans relâche mon premier 45 tours « Saphir » d’André Dassary.
L’origine. Louvois avait créé l’armée royale. Carnot constitua l’armée nationale. L’usage voulait que le régiment porta le nom d’où il opérait comme « Royale-Picardie » ou « Auvergne ». En 1791, du fait du Ministre de la guerre Louis Marie de Narbonne-Lara dit Narbonne, on nommera les armées françaises par le nom de la zone qu’elles ont à défendre : L’armée du Nord, des Alpes ou d’Italie. Et en 1791 la France compte alors trois armées qui furent l’armée du Nord, du Centre et du Rhin.
Lorsque Carnot arriva au Comité de Salut Public, les mutations dans le commandement étaient continuelles et les généraux de plus en plus faible. L’armée du Rhin, eut à sa tête un intérimaire qui refusait de donner des ordres ou un vieux capitaine tiré d’un dépôt dont le plan de campagne consistait à ranger les bataillons de droite à gauche par ordre de numéro (dixit Jomini).
Lazare Carnot réforme ce marasme et constitue en 1793 grâce à la levée en masse et à « l’amalgame » une armée qui aligne 200 000 hommes en février et 800 000 en décembre. Parmi les douze armées présentent en 1793, on trouvera notamment, l’armée du Nord, des Ardennes, de Moselle et du Rhin.
À l’entrée de la campagne de 1794, Carnot, décide de porter son effort en Belgique, en laissant un rideau de troupes face aux Prussiens campés à l’Est et en faisant mouvement avec l’armée de Moselle (commandée par Jourdan) sur la Sambre pour la réunir à l’armée des Ardennes.
La nouvelle armée, destinée à opérer au confluent de la Sambre et de la Meuse, prend naturellement le nom de « Sambre et Meuse » et le conserve pendant les trois ans où elle va opérer sur ce théâtre. C’est le 29 juin 1794 qu’elle voit le jour, composée de l’aile droite de l’armée du Nord, de l’armée des Ardennes et de l’aile gauche de l’armée de Moselle. Elle aura à sa tête les généraux Hoche et Jourdan et comptera dans ses rangs Kléber, Marceau, Bernadotte, Lefebvre, Soult, d’Hautpoul, Mortier, Championnet et un certain Ney que Kléber nommera adjudant-général chef d’escadron le 31 juillet 1794, après qu’il se soit distingué à Louvain. Le 15 octobre il sera nommé adjudant-général chef de brigade.
Aucun ne ressemble au « général vieillard débile » de la chanson qui sera composée quatre-vingt cinq ans plus tard. Jourdan avait 32 ans en 1794.
Dans les rangs de Sambre-et-Meuse serviront d’après les états du 25 septembre 1794, 111 350 hommes répartis ainsi : 11 958 pour l’avant-garde (gal Lefebvre), 34 321 hommes formant les quatre divisions de l’aile droite (gal Scherer), 26 231 hommes au centre (gal ?), 26386 à l’aile gauche (gal Kléber) et 3239 hommes de réserve formée par la 8e division du général Dubois.
L’armée de Sambre et Meuse est à l’assaut de Charleroi, après Fleurus, progresse jusqu’au Rhin entre Bingen et Düsseldorf. Puis, elle prend ses quartiers d’hiver. Jourdan n’entreprend plus aucune opération.
Le 20 avril 1795, le reste de l’armée de Moselle et l’armée du Rhin forme l’armée de Rhin-et-Moselle.
Pendant les trois campagnes suivantes, 1795, 96 et 97, elle tentera de coordonner ses opérations avec l’armée du Rhin-et-Moselle, sa voisine, en application des plans du gouvernement thermidorien et du Directoire. C’est surtout en 1796, après son deuxième franchissement du Rhin le 31 mai, que l’armée s’enfonce en Allemagne, jusqu’à la Naab. Mais là, elle se heurtera à l’archiduc Charles qui concentre ses forces contre elle.
L’archiduc ayant reçu le commandement de l’armée d’Allemagne, il se bat à Wetzlar et à Wurzbourg (3 septembre 1796), refoule sur le Rhin les deux armées ; Sambre-et-Meuse (Jourdan) et Rhin-et-Moselle (Moreau).
Un tout jeune général de division, Marceau, affecté à Sambre-et-Meuse, couvre la retraite de son général en chef et repousse l’archiduc qui vient de le battre. Le 19 septembre, il arrête la marche du corps autrichien du général Hotze à Altenkirchen. Il est blessé mortellement lors d’une reconnaissance et meurt le 21 septembre 1796, à l’âge de 27 ans. C’est jour de deuil pour Sambre-et-Meuse. L’archiduc fera prodiguer en vain des soins au jeune général, estimé de ses ennemis, et l’inhumera à Coblence au son de l’artillerie des deux armées. Puis l’archiduc s’empare de Kehl et de Huningue, sans pénétrer en Alsace pendant qu’un autre général, encore méconnu, faisait « diversion » en Italie.
Jourdan est remplacé brièvement par Beurnonville, qui sera remplacé par Hoche. Reprise en mains et remontée, l’armée de Sambre et Meuse franchit une troisième fois le Rhin, en avril 1797, et entre à Francfort le 22. Elle y apprend la signature des préliminaires de Leoben (la décision avait été prise en Italie). C’est la fin de l’armée de Sambre et Meuse dont le chef, Hoche, meurt au camp de Wetzlar le 19 septembre 1797, à… 29 ans.
Face au dangereux archiduc, le 29 septembre 1797, les armées de Sambre-et-Meuse et de Rhin-et-Moselle seront amalgamées pour former l’armée d’Allemagne.
« Sambre-et-Meuse » fut également un département crée le 1er octobre 1795 dont le chef-lieu était Namur et dont le numéro fut le 97. Il cessera d’exister en 1814.
Puis le temps et les années passent. Jusqu’en 1870, la France vit sur les légendes de gloire de cette période révolutionnaire et partout, la musique militaire est omniprésente. C’est l’époque des nationalismes qui s’exacerbent. Et survient le désastre de la guerre contre la Prusse. La France est assommée par l’uppercut prussien et l’impéritie de nos généraux qui ne sont plus ceux de 93 ou de 1805. Au lendemain de Sedan, notre pays est amputé de L’Alsace et de le Moselle. L’empire n’existe plus et s’en suit une période de trouble qui verra de justesse l’avènement de la IIIe République. Les Français ont d’autres soucis immédiats mais les graines de la Grande Guerre sont semées dans les esprits et Moltke le pressent dés 1871.
A l’époque où n’existaient que les journaux, la musique fait partie intégrante de la vie quotidienne et la musique militaire transporte notre fierté nationale meurtrie. Le chant est un mode particulièrement important de communication au tournant du siècle. Cezano, comme des centaines d’autres chansonniers, choisit de composer un air entraînant où les paroles s’affirment sur des valeurs de l’époque. Sa pièce trouve grâce, grâce à l’essor des music-halls et des cafés-concerts de la Belle Epoque. Elle sera enseignée aux enfants des écoles dans le cadre du programme d’éducation de la IIIe République. Sambre-et-Meuse a également ponctué la cérémonie de dégradation de Dreyfus en 1895, un rituel destiné à purifier l’honneur de l’armée. Vingt ans plus tard, au milieu de la première guerre mondiale, le gouvernement français choisira cette même chanson pour accompagner les traîtres au peloton d’exécution. En 14, soldats et civils français avaient bruyamment entonné les martiales paroles de Cezano dans toutes les gares de France. Mais les mutins de 1917 les rejetèrent.
C’est dans cet esprit qu’en 1879, Paul Cezano écrit un chant qu’il intitule de façon restrictive « Le régiment de Sambre-et-Meuse » et que Robert Planquette mettra en musique. L’armée de Sambre-et-Meuse était la plus glorieuse avant que celle d’Italie ne lui vole la vedette. Cezano ne fait évidemment pas un récit historique de faits avérés. C’est un poète mais on retrouve une allusion à la retraite face aux Autrichiens en 1796. Une autre allusion à la fameuse déclaration de Bonaparte lorsqu’il prit le commandement de l’armée d’Italie : « Soldat vous êtes nus, mal nourris… » que l’on retrouve avec « La gloire était leur nourriture, ils étaient sans pain, sans souliers… »
Enfin, il est faux que cette armée de Sambre-et-Meuse se battit jusqu’au dernier homme lequel se suicida plutôt que de se rendre. L’auteur est un poète et un chansonnier. Il allie le sens de sacrifice consentit pour la Patrie avec la geste militaire. C’est un remake de la Chanson de Roland qui n’est qu’un poème lui aussi ou un clin d’œil à Camerone.
Campagne
(Sources : Collection personnelle – Les guerres de la Révolution –Jomini ; Almanach de la Révolution –J. Massin)